di Cecile Morrisson - Vivien Prigent
À la différence de l’Orient byzantin qui connut une fermeture précoce sous Héraclius de tous les ateliers autres que celui de la capitale,
l’Italie compta jusque dans la seconde moitié du VIIIe siècle jusqu’à cinq ateliers fonctionnant simultanément à certaines périodes
(Naples, Rome, Ravenne, Sicile, Sardaigne), une situation reflétant l’éclatement des possessions territoriales byzantines
[1].
Au début du siècle dernier ce monnayage complexe était déjà l’objet d’une classification par ateliers, empruntée par Warwick Wroth, dans son catalogue
du British Museum (1908), au comte de Salis (John Francis William de Salis (1825-1871) [2]. C’est ce classement, fondé sur le style et la facture, associés aux provenances connues,
fut plus ou moins adopté dans les volumes X, XV et XIX du CNI (1927, 1934, 1940). Il faisait encore autorité jusque dans les années 1950. Mais deux pionniers
apportèrent leur pierre à l’édification d’un nouveau cadre: Lodovico Laffranchi, dans son article sur "La numismatica di Leonzio" (1938), qui non seulement
identifiait le monnayage de Léonce, jusque là confondu avec celui de Léon III, mais aussi ouvrait dans ce "Studio su un periodo della monetazione italo-bizantina"
de nouvelles perspectives sur les ateliers italiens, particulièrement actifs au tournant des VIIe et VIIIe siècles [3]. Appliquant l’un des premiers le principe d’identifier
la monnaie d’or non localisée, portant un CONOB uniforme, par comparaison stylistique avec la monnaie de bronze dotée d’une marque d’atelier, Lodovico Laffranchi renouvela le classement
de Warwick Wroth en cernant les critères d’identification des monnaies d’or de Sicile, confondues jusqu’alors avec celles de Carthage, et de Ravenne, atelier auquel le numismate
anglais n’attribuait plus d’émissions d’or après Constant II. En outre, Lodovico Laffranchi décrivit le premier un groupe stylistique particulier qu’il revint ultérieurement
à Diego Ricotti Prina d’attribuer à l’atelier de Sardaigne, dernier avatar de l’atelier de Carthage, dont les frappes cessèrent sous Léon III, lorsque Byzance eut renoncé
à tout espoir de reprendre pied en Afrique [4].
En effet, dix ans après, dans la même revue romaine Numismatica, Diego Ricotti Prina offrait le premier catalogue du
monnayage sicilien, dont l’or était classé jusque là par Warwick Wroth sous Carthage ou comme "provincial" sans plus de précision
[5].
Cette étude fournit la base essentielle du classement de ces émissions par Ph. Grierson dans les vol. 2 et 3 du catalogue de Dumbarton Oaks
[6]
et dans celui de la Bibliothèque Nationale [7].
Ce catalogue fut complété en 1976 par Rodolfo Spahr, en partie sur la base de sa propre collection formée en Sicile où il résidait [8]. Cependant Ricotti Prina publiait, à partir de monnaies de sa collection, un travail beaucoup moins fiable
où il multipliait comme à plaisir le nombre "d’ateliers mineurs" [9].
Les trois volumes des Moneta Imperii Byzantini de Wolfgang Hahn (1973-1975, 1981) mirent de l’ordre dans tous ces acquis, en y ajoutant un matériel important puisé dans une vaste enquête dans les musées européens et américains et les catalogues de vente [10]. Tout en présentant bien des avancées, cette publication de référence n’emporta pas la conviction sur tous les points, car certaines attributions n’étaient pas toujours justifiées par les provenances locales imparfaitement connues de l’auteur, un défaut que la récente réédition des deux premiers volumes pallie dans une certaine mesure [11].
Dès les années 1960 une nouvelle génération de numismates italiens s’intéressa activement au monnayage italo-byzantin en contribuant eux-mêmes à l’étude et à l’accroissement de sa documentation archéologique. La formation italienne à la numismatique, associant étroitement études classiques et archéologie, portait ici tous ses fruits.
On citera tout d’abord E. A. Arslan [12] qui, au-delà de catalogues de collections locales [13], de nombreuses publications de trouvailles de fouilles et de trésors incluant des monnaies byzantines et d’études spécifiquement dédiées au monnayage byzantin, offrit plusieurs travaux sur l’articulation des monnayages barbares avec le système byzantin. Après avoir commenté l’évolution de la circulation monétaire en Italie dans une riche synthèse en 1994 [14], il mit à la disposition de tous sa documentation personnelle dans le Saggio di repertorio dei ritrovamenti di moneta [15], sans cesse remis à jour sur internet. Parallèlement, les travaux de Giovanni Gorini et de "l’école de Padoue" qu’il a créée, associèrent également le catalogage de collections locales (Istrie, Padoue même [16]), à l’ambitieuse entreprise de recension du matèriel numismatique du nord-est de l’Italie que constitue la collection des Ritrovamenti monetali di età romana nel Veneto (13 volumes parus) - le terme de "romain" s’ètendant heureusement à toute la pèriode byzantine – ainsi qu’à l’organisation de plusieurs colloques thèmatiques où la numismatique italienne figure en bonne part [17].
L’intérêt croissant pour les trouvailles suscita de nombreuses études sur la circulation monétaire régionale et la diffusion des monnaies des divers ateliers byzantins (Arslan et Morrisson, Callegher, Castrizio, Ercolani Cocchi, Guzzetta, Rovelli et d’autres [18]) et leur circulation mêlée en territoire lombard. Ainsi la numismatique pesa-t-elle de tout son poids dans le débat sur la monétarisation de la Péninsule au haut Moyen Âge que nous évoquerons plus avant [19]. Dans ce contexte mieux connu, la spécificité de la Sicile, largement liée à ses fonctions annonaires, semble à présent bien établie [20]. De même l’archéologie mit en lumière le rôle de la "résidualité" dans la constitution de la masse monétaire en circulation dans l’Italie byzantine au VIIIe et au IXe siècle [21].
Ponctuellement quelques trésors ont apporté des données nouvelles: les trouvailles des Ve-VIe siècles ont permis de mieux cerner l’origine des nummi africains, orientaux ou italiens mêlés notamment dans les enfouissements de l’époque des guerres gothiques [22], celui de Monte Iudica permit à Wolfgang Hahn d’envisager l’existence d’émissions d’or en Sicile dès le règne de Justinien [23], le trésor sicilien de la collection Whittemore montrait la coexistence des monnaies d’or locales et métropolitaines dans l’île [24] et le fameux trésor de monnaies d’argent du Tibre révolutionna nos connaissances sur les frappes pontificales en argent des VIIe-VIIIe siècles [25] tandis que les fouilles de S. Vincenzo al Volturno firent clarifier l’attribution à Rome d’une série de monnaies d’or autrefois donnée à Bénévent [26], et que les découvertes de la nécropole de Campochiaro [27] ou le trésor de Naples 1896, redécouvert 100 ans plus tard [28] permettaient de distinguer entre monnaies impériales et lombardes et, parmi ces dernières, entre productions toscane et campanienne. Grâce aux découvertes calabraises enfin, Daniele Castrizio démontra le transfert de l’atelier de Syracuse, après la chute de la ville en 878, à Reggio Calabria qui frappa de rares monnaies d’or et de bronze, autrefois classées comme "provinciales", voire constantinopolitaines [29]. Les différents essais rassemblés sous la direction de Lucia Travaini dans l’ouvrage de référence consacré aux ateliers italiens médiévaux et modernes jusqu’à l’unité, publié en 2011, offrent désormais une mise au point des résultats de la recherche actuelle [30].
Parallèlement, la richesse des cartulaires italiens fut souvent exploitée non seulement pour analyser la circulation monétaire [31], mais aussi pour étudier les noms de monnaies, particulièrement variés dans l’Italie du Sud des Xe-XIe siècles [32]. La plus spectaculaire de ces études est sans conteste celle où Grierson démontra que le terme scifatus de ces documents, loin de désigner les monnaies byzantines dites "scyphates", dérivait de l’arabe shiffi (bordure) et se référait au triple grènetis des larges nomismata histaména de Basile II [33].
Enfin, l’application de méthodes d’analyses physiques, chimiques et gravimétriques ont permis de reconstituer très largement le processus de dévaluation des monnayages impériaux et lombard [34]. Les productions byzantines n’ont toutefois pas encore fait l’objet d’estimation du nombre de coins comme celles effectuées par Ermanno Arslan pour certaines émissions ostrogothiques ou lombardes [35].
Ces jalons historiographiques posés, nous examinons ici les principaux apports de la recherche du siècle écoulé à notre connaissance de trois aspects complémentaires de l’histoire monétaire: l'activité des ateliers, la circulation monétaire et son témoignage sur l'histoire économique et, enfin, les liens avec les systèmes monétaires voisins.
L’activité des ateliers
Le schéma préfectoral déjà proposé par Theodor Mommsen et élaboré par Michael Hendy [36]
s’applique encore au VIe siècle où l’or est frappé successivement au cours de la guerre gothique, ou concurremment ensuite, par Rome et Ravenne, sièges des deux diocèses de la préfecture d’Italie, dans
la continuité des émissions ostrogothiques. Le style permet de les distinguer sans doute possible de l’or de Constantinople, malgré l’ambiguïté de la marque CONOB à l’exergue, mais la séparation des deux métropoles
reste malaisée, en l’absence de trouvailles assurées
[37], comme Wolfgang Hahn le reconnaît lui-même. Elle repose essentiellement sur l’analyse stylistique et une comparaison parfois fragile avec les émissions de bronze signées [38]. Il semble toutefois que Ravenne ait été à l’origine, à partir de sa réactivation par les Byzantins lors du second siège de Rome
(546-550), l’atelier le plus actif des deux, tant pour l’or que pour l’argent, émis sur le modèle ostrogoth [39].
L’argent cesse d’être frappé à Ravenne après les huitièmes de silique de Tibère III; il en va de même à Rome, à l’exception du monnayage pontifical. Il est possible que cette suspension soit à mettre au compte de la grande
dévaluation qui commence alors, car les réserves de métal blanc sont consacrées à la frappe des solidi dévalués [40]. On y suivait peut-être sous Maurice, comme à Carthage à la même époque, un cycle lustral de production, mais aucune étude de coins n’a été entreprise pour le prouver
[41].
Dès les années 580 en tout cas les attributions deviennent encore plus complexes avec le début des frappes pseudo-impériales des Lombards sur le modèle ravennate (voir le trésor d’Aldrans [42]) aussi bien en or qu’en argent. Au sud, sur la base du trésor de Monte Judica (CAT), Wolgang Hahn a identifié sur critère stylistique – non sans de nombreuses hésitations et repentirs – un groupe de solidi "pseudo-ravennates" de Justinien et Justin II qui seraient les premières émissions siciliennes [43]. Il vaudrait mieux s’en tenir aux dates indictionnelles présentent sur les monnaies qui renvoient bien à des péripéties de la guerre gothique intéressant la Sicile [44], selon un schéma déjà bien en valeur pour les émissions africaines [45], ce qui plaiderait bien en faveur de frappes précoces. De même, le statut administratif particulier accordé à la Sicile dès Justinien, en retranchant l’île du cadre préfectoral, pouvait justifier qu’un atelier y soit ouvert [46]. Malgré ces indices, ce n’est pas avant le règne d’Héraclius que des émissions d’or siciliennes sont assurées [47]. Pour ce qui est du bronze, les premières émissions certainement siciliennes sont les dékanoummia de Maurice marqués CAT [48]. Il convient en revanche d’abandonner l’idée que deux ateliers aient été concurremment actifs dans l’île sous ce règne [49].
Par ailleurs, la documentation archéologique permet maintenant de voir plus clair dans l’origine des différents groupes de "monnaies militaires imitatives" [50]. Les
premiers folles attribués autrefois par Hahn à la Sicile dès le règne de Justinien I gagneraient ainsi à être transférés à l’atelier de Salone et il faut attendre le règne de Constant
II pour voir cette dénomination régulièrement frappée dans l’île, en liaison avec l’arrêt de tout apport de monnaies constantinopolitaines [51]. Certaines frappes de bronze attribuées à un atelier militaire actif sous Maurice doivent
aussi être attribuées à l’atelier de Rome, sur la foi des trouvailles [52]. Des monnaies de plomb ont de même été émises dans un contexte similaire de pénurie [53].
L’arrivée des Lombards entraîne selon Hahn des émissions abondantes de Rome et Ravenne sous Maurice destinées au paiement de tributs. Toutefois, l’isolement croissant
des différents territoires restés aux mains des Byzantins et l’affaiblissement des revenus fiscaux favorisent le déclin de la production des ateliers à partir du milieu du VIIe siècle jusqu’à
la fin de la frappe byzantine vers le milieu du VIIIe siècle (Ravenne 751, Rome 776). Leur autonomie se marque dans une divergence croissante du modèle de Constantinople aussi bien dans la
typologie (citons la réapparition des lettres R m dans le champ de certains solidi [54]) que dans la structure des dénominations et leur composition métallique [55]: Ravenne et Rome émettent surtout des tremisses. L’identification, grâce à un trésor découvert sur les bords du Tibre, d’un monnayage pontifical d’argent a
bouleversé l’idée quel’on se faisait de la chronologie de l’affirmation du pouvoir temporel des papes à Rome [56]. Ces petites frappes d’argent présentent le portrait de l’empereur au droit, accompagné du monogramme du pontife au revers. Ce monnayage indique une association
étroite de la papauté à l’exercice de l’autorité souveraine dès le dernier quart du VIIe siècle, la plus ancienne monnaie de ce type connue étant attribuable au règne de Serge I, c’est-à-dire
aux années 687-701 [57].
Un atelier ducal est par ailleurs créé à Naples en 660 qui, comme Rome, émet des demi-folles entre 663 et 695 [58], puis irrégulièrement des monnaies
d’or dévaluées. Une trouvaille archéologique récente dont l’importance est soulignée par Alessia Rovelli permet enfin de lui reconnaître la frappe de petites monnaies d’argent sous Constantin V
[59]. Les choix typologiques de cet atelier reflètent les aléas
de la fidélité napolitaine à l’empire, les reprises directes des modèles constantinopolitains se doublant de frappes au nom du duc local sans lien direct à la tradition impériale. Cette
ambiguïté de la position de Naples entre espace sous influence franque et monde byzantin donne enfin naissance à un curieux type de denier portant le nom de l’empereur Basile I
[60].
Tout ceci étant assez bien connu,
soulignons seulement l’incertitude qui subsiste sur l’identification des émissions du sud de la péninsule au VIIIe siècle et l’évaluation de l’importance relative de la production des ateliers.
La Sicile suit un chemin particulier et Syracuse frappe jusqu’en 878 avant de transférer quelque temps son activité à Reggio Calabria [61]. Le volume de ses émissions des VIIe-VIIIe siècles est nettement supérieur à celles de Ravenne en raison de sa prospérité
préservée, de meilleures rentrées fiscales et de ressources locales en métal précieux [62]. L’autonomie croissante des ateliers se reflète notamment dans l’abandon de la métrologie constantinopolitaine
dans le troisième quart du VIIe siècle [63].
La circulation de la monnaie byzantine: le sud de l’Italie (VI-XI siècle)
Sur la circulation monétaire du haut Moyen Âge et le processus de régionalisation évoqué plus haut, on dispose de plusieurs synthèses autorisées [64] et nous nous bornons à quelques remarques concernant le sud.
Dans le sud de l’Italie, deux grands ensembles s’opposent, d’un côté, le couple Sicile-Calabre, de l’autre la Pouille et la Campanie. Le principal élément de différenciation est le degré de contrôle politique de l’Empire byzantin, qui se répercute directement dans la vitalité de l’économie monétaire. Par ailleurs, au-delà de cette opposition géographique, il faut mettre en exergue une césure chronologique nette, l’histoire monétaire de l’Italie du Sud s’articulant en deux phases bien distinctes, de part et d’autre des bouleversements politiques des années 876-878, qui voit simultanément la conquête de Syracuse par l’émir d’Afrique et la reconquête de Bari par Byzance. Sicile et Calabre connaissent jusqu’au début du XIe siècle une domination incontestée du numéraire impérial. Jusque vers 900, celle-ci s’appuie sur l’activité de l’atelier sicilien, brièvement transféré à Reggio Calabria, comme on l’a vu [65]. Au VIe siècle, la région, et notamment la zone du Détroit, voit circuler amplement les monnaies orientales, amenant vers 600 les autorités à aligner la métrologie des frappes siciliennes sur celle en vigueur en Orient [66]. Seules des régions d’Italie, Calabre et Sicile connaissent un accroissement de la disponibilité monétaire au VIIe siècle, en relation avec les responsabilités annonaires de la Sicile [67]. Toutefois, dès le milieu de ce même siècle, la zone se ferme aux monnaies étrangères et le numéraire en circulation est exclusivement de production locale [68]. À la fin du siècle, le solidus sicilien cesse même d’être frappé selon la norme pondérale en vigueur à Constantinople. Sous Léon III, l’État fait en outre le choix d’un poids de fin distinct [69]. Au sein de l’espace impérial, Sicile et Calabre constituent donc un espace monétaire dynamique, mais bien individualisé. Cette vigueur de la circulation monétaire est remise en cause par la conquête musulmane surtout à partir du règne de Michel III (843-867): qualité et quantité des frappes de bronze et d’or s’effondrent [70].
Le rôle de la monnaie impériale évolue de façon tout à fait différente en dehors de cette zone bien contrôlée. Durant les VIIe et VIIIe siècles, l’espace lombard dispose d’émissions propres, bien qu’inspirées des modèles impériaux, et la circulation de la monnaie byzantine est sans doute ici limitée [71]. Dans la première moitié du VIIIe siècle, il est toutefois possible de constater des fluctuations synchrones des quantités de monnaies frappées par les ateliers de Sicile et de Bénévent, indice d’une réutilisation probable du métal des monnaies insulaires par les monnayeurs lombards [72]. À terme les progrès de l’influence franque promeuvent en outre un alignement sur le système du denier, jamais parfaitement réalisé il est vrai [73]. Dans les duchés campaniens, la question de la circulation de la monnaie impériale est compliquée du fait du statut ambigu des émissions propres de Naples. Deux points ressortent d’une étude encours: la résidualité est ici aussi très importante; des liens privilégiés semblent exister en matière de circulation des monnaies entre la région de Naples et Rome [74]. C’est dans ce contexte d’équilibre entre fidélité proclamée à l’empire et orientation économique privilégiée vers le nord qu’il faut replacer la frappe des deniers au nom de l’empereur Basile I déjà évoquée.
La fermeture de l’atelier siculo-calabrais coïncide dans le temps avec le rétablissement de l’autorité impériale dans les Pouilles, qui détermine un renouveau frappant de la circulation des espèces constantinopolitaines sur le continent. À la poignée de bronzes byzantins des VIIe-IXe siècles découverts en Pouille succèdent des centaines de trouvailles [75]. Trois émissions jouent un rôle dominant. Tout d’abord, les frappes de Romain I Lécapène des années 931-944, dont l’importance se retrouve non seulement en Pouille et Calabre, mais aussi, en dehors du territoire impérial, en Campanie, en Sicile et dans les territoires demeurés lombards [76]. Ces monnaies étaient toujours en usage un siècle après leur arrivée en Italie, comme en atteste le fait qu’elles aient servi à frapper des monnaies du prince Gisulf II de Salerne [77]. Dans l’interprétation du phénomène, il convient de garder présent à l’esprit qu’il s’agissait de frappes d’ampleur tout à fait exceptionnelle [78], répondant d’ailleurs à un accroissement parallèle tout à fait significatif des émissions d’or [79]. Néanmoins, la grande politique italienne de cet empereur se reflète certainement aussi dans la fréquence de ce type [80]. Au-delà, les folles anonymes émis entre 969 et 1028 occupent une place essentielle, également observable à l’échelle de tout l’empire [81].Toutefois, l’importance de la première classe est tout particulièrement accentuée en Italie: elle est certainement liée aux réformes de Jean I Tzimiskès qui institua vers 969 le katépanat d’Italie [82]. Au-delà, l’apport essentiel est représenté par les folles anonymes C des années 1042-1050. Il est même possible qu’une variante ait été frappée directement à destination de l’Italie du Sud, sans doute en relation avec l’expédition militaire de Georges Maniakès, qui visait à la reconquête de la Sicile. Il s’agirait dès lors de la dernière émission impériale d’Italie mais cette hypothèse de Bendall sur la base d’un trésor paru sur le marché reste fragile [83]. Il serait également possible que ces monnaies aient été frappées à Constantinople pour l’armée de reconquête comme le suppose Lucia Travaini [84]. La fréquence des folles anonymes provoque à terme l’apparition de frappes locales qui s’en inspirent tant en terre lombarde que dans la Calabre normande [85]. Cette large diffusion des espèces impériales explique sans doute dans une large mesure que les ateliers d’Italie du Sud n’aient pas frappé le bronze avant le milieu du XIe siècle, c’est-à-dire au lendemain de l’arrêt de la frappe des folles anonymes C [86].
Le renouveau de la circulation des monnaies impériales concerne également l’or. Les actes notariés, dont le témoignage est partiellement corroboré par celui des trouvailles,
indiquent la très large disponibilité de la monnaie constantinopolitaine en Italie du Sud, dans et hors des frontières de l’empire. Les transactions non-monétarisées semblent ici
l’exception [87]. Cette documentation reflète par ailleurs la prise de conscience progressive de la dévaluation qui affecte le nomisma à travers la multiplication des noms de monnaie et la sélection d’émissions privilégiées dans les transactions [88]. Les monnaies d’or constantinopolitaines arrivent même après la conquête normande par le biais des tributs versés par l’empereur Michel VII [89].
La situation est toutefois complexe car contrairement à la situation prévalant à l’échelon de la «moneta minuta», les espèces impériales d’or font face à l’expansion d’un autre numéraire, le tarì d’Afrique du Nord et de Sicile, imité dès la seconde moitié du Xe siècle à Salerne et Amalfi [90]. Cette rivalité dessine à terme deux zones monétaires. À l’est sur l’Adriatique, le nomisma maintient sa domination, même si, sans doute en raison de la dévaluation du XIe siècle, le tarì semble s’imposer comme monnaie thésaurisée [91]. À l’ouest, le long de la côte tyrrhénienne, la domination du tarì est indiscutable et se réalise rapidement. Naples, pourtant plus longtemps fidèle à la monnaie impériale que les cités voisines, adopte le tarì comme monnaie de référence dans le dernier tiers du Xe siècle [92]. Dans l’espace tyrrhénien, la monnaie musulmane s’impose au sein même du territoire impérial comme l’indique le libellé des redevances dues à l’Église de Reggio Calabria [93]. L’affirmation du tarì n’est pas liée à la dévaluation de la monnaie impériale car elle lui est nettement antérieure et reflète sans doute davantage l’importance des liens commerciaux avec le monde musulman [94]. La constitution progressive, dès le début du Xe siècle, d’une masse monétaire mixte où se côtoient folles byzantins, deniers occidentaux et tarì musulmans permet de mieux comprendre le système monétaire mis en place ultérieurement sous les Normands [95].
Conjuguées avec les données sur la production des ateliers, les trouvailles monétaires et les textes apportent donc une contribution majeure à l’histoire économique: une appréciation plus positive de la monétarisation de la fin du VIe siècle et du VIIe siècle, la cartographie de la régionalisation croissante et de la césure des années 700 et suivantes, la compréhension de l’histoire monétaire post-byzantine.
Dévaluation et liens avec les systèmes monétaires voisins
L’un des aspects essentiels de l’évolution de la monnaie byzantine d’Italie est la dévaluation qui affecte les espèces d’or et augmente les coûts de transaction. Ce processus tend à créer des zones monétaires juxtaposées au sein même de l’espace impérial. À terme, il provoque l’apparition de deux phénomènes parallèles, l’évolution des espèces réelles vers des unités de compte et une articulation entre systèmes monétaires voisins, dans le temps ou l’espace, reposant strictement sur les rapports de valeur métallique.
La dévaluation de la monnaie d’or impériale d’Italie commença à la fin du VIIe siècle et doit certainement être mise en relation avec l’effort consenti pour bloquer l’avancée des forces musulmanes en Méditerranée centrale, après la chute de Carthage en 698. Le phénomène fut plus ou moins rapide selon les ateliers. Il s’observe également sur les productions lombardes, signe que les ateliers du regnum et de Bénévent pourraient avoir refrappé les monnaies impériales subissant indirectement les effets de leur dévaluation [96]. Il convient toutefois de distinguer le cas des ateliers péninsulaires et de l’atelier sicilien. En effet, dans le second cas, non seulement le phénomène s’étend sur une durée nettement plus longue, mais encore la dévaluation connaît de longues phases de rémission.
La première période concerne l’ensemble des ateliers. En Sicile, une chute brutale est enregistrée immédiatement après la déposition de Justinien II en 695. La chute du poids du solidus sicilien sous cet empereur n’a donc rien à voir avec une diminution de son titre. De 695 à l’avènement de Léon III (717), le nomisma sicilien tombe de 97% à 60% d’or [97]. L’évolution est similaire dans les ateliers péninsulaires. La chute commence toutefois un peu plus tôt. Dès le règne de Constantin IV, les monnaies de Rome et Ravenne titrent aux alentours de 90%. Vers 720, les valeurs dépassent de peu 60%. La chute est encore un peu plus marquée à Naples. On note en outre dans les ateliers continentaux d’importantes différences de fin d’une monnaie à l’autre au sein d’une même émission [98].
La seconde phase s’ouvre avec le règne de Léon III et voit l’évolution de la péninsule et de la Sicile diverger. L’atelier de Syracuse bénéficie d’une reprise en mains efficace de la part des autorités impériales: le titre de ses frappes remonte et se stabilise à 84% de fin jusqu’au début du IXe siècle. En revanche, les productions des ateliers d’Italie plongent. Sous Léon III et Constantin V, on note des écarts de fin de 50% à Ravenne, mais ces frappes semblent rapidement dépourvues d’or, tandis que les pourcentages de cuivre, argent, plomb présentent de très larges variations, signe que l’atelier fait feu de tout bois. À Rome, les monnaies de Léon III titrent environ 33%, mais les écarts vont de 10 à 90%. Une légère amélioration semble survenir au tout début du règne de Constantin V, suivi d’une chute rapide et drastique, la dernière série romaine présentant des titres entre 12% et 0%. Les monnaies d’argent d’Hadrien Ier portant le sigle CONOB, bien que frappées en argent, demeurent conceptuellement un monnayage-or, tout comme celle frappée au nom d’Aistulf à Ravenne [99]. Associée au portrait de saint Pierre (choix d’un saint "national" qui évoque pour sa part davantage le monnayage lombard que byzantin [100]), cette marque d'attachement aux traditions monétaires byzantines lors des premiers temps de l’alliance franque visait son doute à affirmer la pleine autonomie des pontifes vis-à-vis tant de Constantinople que du nouveau patrice des Romains [101]. Enfin, la teneur en or des rares frappes attribuées à Naples est d’emblée négligeable sous les Isauriens.
Les troisième et quatrième phases ne concernent que l’atelier sicilien, les autres ateliers ayant quitté l’orbite impériale. Sous Michel Ier (811-813) une nouvelle phase de dévaluation commence. Elle est bien antérieure à l’invasion musulmane et reflète des difficultés économiques liées à la chute des exportations [102]. Michel II (820-829) stabilise le titre à 75%, niveau qui se maintient sous les deux premiers Amoriens. L’avènement de Michel III (842-867) marque l’ouverture de la dernière phase caractérisée par une chute extrêmement brutale, malgré la contraction parallèle du volume des émissions [103]. Le titre des monnaies de cet empereur dépasse à peine 40%. Enfin, sous Basile I (867-886), la dernière analyse disponible révèle 27% d’or.
Cette déliquescence précoce de la monnaie d’or impériale contraste avec la fréquence des références qui y sont faites dans la documentation notariale des VIIIe-XIe siècles dans les zones perdues par l’empire, ce qui pose la question de la nature de ces attestations: références "fossilisées" découlant de l’inertie des formulaires notariaux, pures unités de compte ou reflet de la circulation monétaire effective? Un examen attentif du libellé des actes et de leurs variations spatiales et chronologiques effectué par Alessia Rovelli permet à présent de rejeter la première solution [104]. Trancher entre les deux autres hypothèses s’avère plus délicat car une évolution progressive doit certainement être prise en compte. La mise en évidence par Andrea Saccocci de la fixité des équivalences entre le solidus d’or et le denier du début du IXe à la fin du XIe siècle indique clairement que le solidus d’or n’est alors plus qu’une monnaie de compte dans le nord de l’Italie [105]. Ce n’est que dans le sud de la péninsule que les références aux types monétaires concrets et la sélection d’espèces privilégiées dans les contrats amènent à rejeter nettement une évolution de ce type jusqu’au XI siècle [106]. On terminera cette rapide évocation des problèmes liés à l’évolution des monnaies réelles vers des monnaies de compte en rappelant qu’un débat de même nature s’intéresse au statut du miliaresion d’argent dans l’Italie du Sud byzantine. Dans la documentation, ces monnaies d’argent servent en effet généralement à exprimer des versements effectués en monnaie de bronze et présentent un rapport variable au solidus, ce qui amène Philip Grierson à repousser l’idée de leur circulation effective [107]. Jean-Marie Martin, sur la foi d’un nouvel examen de la documentation d’archives plaide en revanche pour la réalité de cette circulation [108]. La rareté des trouvailles, caractéristique de ces monnaies intermédiaires, ne permet pas de trancher [109].
Le problème de l’évolution du nomisma vers une unité de compte et de son intégration dans les systèmes monétaires des régions d’Italie perdues par Byzance se pose avec une acuité toute particulière entre 780 et le milieu du IXe siècle. L’examen de la documentation notariale amène à admettre une circulation effective de la monnaie d’or, mais la question se pose de savoir si l’or en circulation est majoritairement impérial ou musulman. On fait bien évidemment ici référence au fameux "mythe du mancus", formule rendue célèbre par un article de Philip Grierson [110]. Ce grand savant, bien qu’il ait initialement défendu l’identification du mancus avec une monnaie byzantine dévaluée, s’est ultérieurement rallié à la thèse, défendue par Claude Cahen [111], faisant de ces monnaies des dinars musulmans. Son autorité a assuré un consensus certain autour de cette thèse [112]. Toutefois, très récemment, le débat a été rouvert par Salvatore Cosentino qui propose d’identifier le mancus à la monnaie d’or sicilienne, arguant notamment d’un nouveau document d’origine ravennate [113]. L’hypothèse mérite un réexamen approfondi d’autant plus que cette question revêt une importance absolument primordiale pour l’image que l’on se fera de l’intensité des relations commerciales en Méditerranée dans les premiers siècles du Moyen Âge. Une large circulation de la monnaie musulmane en Italie est en effet l’un des arguments clefs du grand livre de Michael McCormick réhabilitant la vigueur relative des échanges est-ouest [114]. La pertinence de cet argument a récemment été mise sérieusement en question par Paolo Delogu [115] et il convient très certainement de distinguer deux phases séparées notamment par l’apparition du tarì, dont on a dit l’importance économique dans la péninsule dès le début du Xe siècle. Au-delà, l’examen du problème en tenant compte de la répartition spatiale et chronologique des attestations du mancus plaide très fortement en faveur de son identification avec le solidus isaurien de Sicile [116].
Les phénomènes de dévaluation et leur chronologie posent également le problème de l’articulation des échanges au sein même de l’empire et dans les régions de tradition byzantine où une conquête par une autre entité politique amène un chevauchement entre systèmes monétaires ancien et nouveau. En effet, si tous les systèmes qui en viennent à se superposer dans les différentes régions d’Italie au haut Moyen Âge sont des descendants directs du système constantinien basé sur le solidus, les évolutions divergentes que connut ce modèle ne pouvaient que constituer un obstacle aux échanges interrégionaux.
Le premier cas de figure concerne les relations entre les régions italiennes de l’empire et les régions centrales aux VIIIe-IXe siècles. L’unité monétaire proclamée de l’empire se heurte en effet au fait de la différence croissante de valeur des émissions des différents ateliers. De nouveau, les cas sicilien et péninsulaire doivent être distingués. Dans le dernier cas, la dévaluation s’opère dans un contexte de rejet de l’autorité impériale. Elle est en outre extrêmement rapide. Aucun système particulier ne semble avoir été mis en place. Le cas est différent en Sicile, mieux contrôlée. Les deux paliers de la dévaluation, sous Léon III et Michel II, furent fixés de façon à permettre une conversion aisée des monnaies insulaires et constantinopolitaines: 1 nomisma et 1 tremisses siciliens équivalent dans un premier temps à une solidus oriental. Ultérieurement, trois semisses de Syracuse valent un solidus de Constantinople. Ces équivalences expliquent par la même occasion la structure particulière des émissions siciliennes qui privilégient les fractions [117].
En dehors de l’empire, dans les zones où se chevauchent les systèmes monétaires, les solutions divergent. Il semble que les autorités lombardes aient initialement tenté de maintenir l’alignement métrologique sur les espèces byzantines: Ermanno Arslan a notamment interprété en ce sens la réforme monétaire de Cunincpert (688-700) [118]. Parallèlement, comme on l’a dit, Rome et Ravenne favorisent la frappe de tremisses, dénomination privilégiée de l’économie en zone lombarde. Toutefois, dès le début du VIIIe siècle, la chronologie différenciée des dévaluations qui affectent les espèces d’or frappées dans les deux zones et l’irrégularité des taux de fin au sein d’une même émission remirent en cause l’articulation des échanges entre les territoires lombards et impériaux. Dans une certaine mesure, la refonte et la refrappe réglaient évidemment la question et l’étude des bijoux lombards a mis en évidence que l’or monnayé byzantin alimentait jusqu’aux officines d’orfèvrerie du regnum [119]. Par ailleurs, l’importance, de part et d’autre, récemment réalisée, de toutes petites monnaies d’argent de métrologie similaire facilitait les relations [120]. Pour les transactions d’envergure, la question demeure ouverte.
Le cas des territoires passant sous domination ou influence franque se révèle somme toute plus simple. La documentation fait référence tant au sou franc, qu’à la monnaie impériale, tous deux issus du solidus constantinien, mais le premier n’est plus qu’une unité de compte [121]. En pratique, la conquête ne fait donc qu’introduire l’argent, ou plutôt en renforcer le rôle. Un système bimétallique se met donc en place, même si l’on peut discuter de son point d’équilibre interne, question cruciale autour de laquelle s’opposent Pierre Toubert et Alessia Rovelli. La rareté des trouvailles de deniers d’argent carolingiens en Italie demeure en effet si marquée qu’elle ne saurait s’expliquer par les seuls aléas de la recherche archéologique [122]. On peut donc se poser la question du lien éventuel entre ces émissions réduites et l’éventuelle existence d’un stock de monnaies d’or mobilisables pour les transactions d’importance. Les évolutions du rapport Au : Ar déterminent ici quoi qu’il en soit les relations entre les deux composantes du système [123]. Le cas le plus net apparaît dans la documentation salernitaine lorsque l’influence franque domine dans la principauté lombarde. Des prêts en tremisses sont ici remboursés en deniers, le taux de change devant être fixé au moment du remboursement afin de pallier les inconvénients de la dévaluation rampante des espèces [124]. On retrouve ce primat des relations de valeur métallique derrière la large diffusion en Italie du Nord des folles anonymes byzantins émis vers l’An Mil. Comme l’a montré Bruno Callegher, le denier en usage à Venise vaut en effet le double de la monnaie byzantine de bronze, établissant un taux de change aisé qui en facilitait la pénétration au-delà des frontières de l’empire [125]. Le chevauchement au sud entre les zones monétaires musulmanes et impériales est plus complexe à analyser. Michael Bates a ainsi soutenu que le tarì, le quart de dinar, destiné à terme à dominer l’économie de la façade tyrrhénienne de l’Italie méridionale, commença à être émis en Sicile au lendemain de la chute de Syracuse en 878 [126]. Son poids analogue à celui du tremisses byzantin l’amenait à y voir une monnaie de substitution. Toutefois, deux objections ont été avancées: d’une part, Maria Amalia De Luca a découvert des tarì antérieurs à 878 [127]; d’autre part, le titre du tremisses étant le quart de celui du tarì, le rapport des poids de fin incite à déplacer la date d’émission des premiers tarì au début du règne de Michel III, qui vit précisément un effondrement tant du titre que du volume des émissions byzantines propre à avoir motivé le lancement d’un monnayage de substitution [128].
On s’arrêtera ici au seuil de la conquête normande, mais il va sans dire que le système mis en place par les Hauteville se prête évidemment à merveille à ce genre d’analyse, se plaçant dans la continuité des systèmes monétaires antérieurs, comme l’illustrent amplement les travaux de Lucia Travaini [129].
Deux perspectives se dégagent: comme on vient de le voir, les données sur la valeur intrinsèque des monnaies puis leur articulation avec les documents d’archives pour la période
tardive, éclairent les rapports entre les multiples systèmes, la plupart dérivés du modèle constantinopolitain, qui coexistent dans les Italies médiévales. Pour le haut Moyen Âge,
et d’une manière générale, les progrès réalisés dans la connaissance et l’interprétation des trouvailles monétaires de toute nature sont remarquables. Grâce au travail déjà accompli
par nos collègues archéologues et numismates (en particulier à la Crypta Balbi), et au travail en cours, par exemple sur les fouilles urbaines de Naples liées à la construction du
métro et d’autres sites, on comprend mieux par exemple le phénomène de la résidualité et le contexte de la circulation monétaire. La documentation archéologique éclaire à la fois
l’histoire économique (les variations de la monétarisation, les aires de circulation) et pourra contribuer à un corpus moderne, un CNI du XXIe siècle qui est l’un des
desiderata de la recherche. Wolfgang Hahn est le seul à s’être attaqué au problème des attributions devant lequel Grierson avouait renoncer [130]. La documentation qu’il a rassemblée est une base incontournable, malgré les critiques, impressionnistes,
qui lui sont adressées, mais il s’arrête en 721. Il faut la mettre à jour et la poursuivre jusqu’à la fin du VIII siècle en corrélant plus étroitement encore l’analyse stylistique,
la composition métallique et les provenances connues. La multiplication de monographies régionales, dont La Pouille de Jean-Marie Martin et aujourd’hui le travail de Vivien
Prigent sur la Sicile [131] constituent un modèle, offrirait la
base idéale à un tel travail de synthèse. Enfin, seules les études de coins (comparables à celles d’Ermanno Arslan sur le monnayage lombard de Bénévent
[132]), lorsqu’elles sont faisables, permettront de quantifier l’importance
relative des émissions et, espérons-le, de mieux assurer leur classification et la poursuite de la recherche. Un vaste programme.
Note